NOMINATIONS DANS LA MAGISTRATURE : LE PAVÉ DE KILUMBA ET UBULU


La prestation de serment, mardi 4 août 2020, des nouveaux magistrats récemment nommés par le chef de l’Etat a révélé les irrégularités dont faisaient état bien d’observateurs dans les différentes ordonnances ad hoc. Non pas nécessairement l’affaire du contreseing soulevée par le Premier ministre, mais bien dans le contenu et la procédure.
On connaissait déjà le dossier de Benoît Lwamba Bindu, juge et Président (toujours ?) de la Cour constitutionnelle, qui, pour une partie de l’opinion, aura été « démissionné » dans les conditions que le connait sur la base alléguée de son état de santé qui l’aurait amené à démissionner volontairement. Lwamba est pourtant apparu récemment dans une vidéo qui le montrait en bonne santé à l’occasion de son anniversaire. Certainement une ultime démarche pour lui visant à appuyer son démenti de sa démission annoncée en son absence du pays.
Cette fois-ci, ce sont deux autres juges de la même Cour constitutionnelle qui jettent le pavé dans la marre. En effet, dans une lettre adressée au chef de l’Etat en date du 27 juillet, mais diffusée dans les réseaux sociaux le jour même de la prestation de serment, Noël Kilomba Ngozi Mala et Jean Ubulu Pungu disent n’avoir jamais été consultés pour leurs nominations qu’ils disent aussi avoir apprises dans les médias. Des nominations annoncées en même temps que leur remplacement à la Cour constitutionnelle.
Tout en remerciant le Président de la République pour la confiance qu’il leur a faite en les promouvant Présidents à la Cour de cassation, ils rappellent cependant que c’est depuis juillet 2014 pour le juge Kilomba et avril 2018 pour le juge Ubulu qu’ils avaient levé l’option, à travers une lettre à la Cour suprême de justice (faisant à l’époque office de Cour de cassation), lettre dont copie était réservée au chef de l’Etat, qu’ils avaient levé l’option de ne plus travailler à cette Cour jusqu’à l’expiration de leurs mandats de 9 ans à la Cour constitutionnelle. Un choix opéré conformément à l’article 158.3 de la Constitution ainsi qu’aux articles 6 et 34 de la loi n°13/026 du 15 octobre 2013 portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle.

Démonstration des irrégularités et pavé des juges
Dans la suite de leur correspondance à Félix Tshisekedi, les deux juges relèvent ce qui n’est pas moins un chapelet d’irrégularités ayant entaché leur nomination à la Cour de cassation. En effet, Kilomba et Ubulu font savoir d’abord que leurs mandats à la Cour constitutionnelle courent jusqu’en avril 2021 où pourrait intervenir le tirage au sort visant le renouvellement des mandats de certains juges par composante d’origine ; et qu’ensuite, ayant tous les deux été désignés par le chef de l’Etat, ils ne devraient pas être soumis tous les deux au tirage au sort qui ne concerne qu’un juge par composante d’origine.
Quant à l’ordonnance les nommant à la Cour de cassation, les deux juges estiment qu’elle ne devrait pas leur être opposée en ce qu’elle ne fait nulle part allusion, dans ses visas, à l’ordonnance portant organisation et fonctionnement de la Cour constitutionnelle. De la même manière, signifient-ils encore au magistrat suprême, la loi organique portant statut des magistrats ne peut pas, non plus, leur être opposée étant donné que cette même loi spécifie, en son article 90 que ses dispositions ne s’appliquent pas aux membres de la Cour constitutionnelle qu’ils sont. Leur statut est, par ailleurs, différent de celui des magistrats car étant régis par un statut particulier fixé par l’ordonnance n°16/070 du 22 août 2016 qui, du reste, n’est évoquée nulle part dans l’ordonnance les nommant à la Cour de cassation.
Pour toutes ces raisons donc, les juges Noël Kilomba Ngozi Mala et Jean Ubulu Pungu font savoir que, conformément à la Constitution, ils se trouvent dans l’obligation de demeurer à la Cour constitutionnelle jusqu’à la fin de leur mandat.

Le tollé des spécialistes
Cette démonstration argumentaire soulève, depuis mercredi, des commentaires dans tous les sens, aussi bien en matière juridique pure qu’au plan politique. A la présidence de la République on tente de minimiser l’affaire en disant, selon le Parsec du chef de l’Etat réagissant à un tweet, que les deux juges ont plutôt introduit un recours et que c’est la Cour de cassation qui les aurait empêchés de prêter serment.
La dominante, cependant, est que les ordonnances du chef de l’Etat ont été entachées d’irrégularités qui, logiquement, devraient nécessiter leur reconsidération.
Sur son compte tweeter, Kodjo Ndukuma, professeur de droit à l’Unikin, estime que la procédure n’a pas été respectée, ni pour leur désignation à la Cour de cassation, ni pour leur remplacement à la Cour constitutionnelle. Il fait savoir que le Conseil supérieur de la magistrature n’a pas été consulté, que les deux juges concernés se trouvaient sur le quota du chef de l’Etat et que, donc, ils ne pouvaient pas être remplacés en même temps.
A ce sujet, on rappelle que le Bureau du Conseil supérieur de la magistrature aurait, dans un procès-verbal daté d’avril 2019, laissé au chef de l’Etat le « pouvoir discrétionnaire » de procéder aux nominations au sein de la magistrature. Mais on fait tout de suite observer que le Bureau de la CSM n’a aucune prérogative pour ce faire. En effet, selon les deux premiers alinéas de l’article 17 de la loi organique n° 08/013 du 05 août 2008 portant organisation et fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature, « le Bureau exécute les décisions et recommandations de l’Assemblée générale. Il soumet à ses délibérations des propositions relatives à l’organisation et au fonctionnement du pouvoir judiciaire ». Et le 7ème alinéa est plus précis en indiquant que le bureau « transmet les propositions de promotion ». Il donc aucune prérogative de « statuer » sur ces propositions de promotion, surtout pas en donnant un chèque en blanc au pouvoir exécutif (dont fait partie le chef de l’Etat) pour disposer de la carrière des membres du pouvoir judiciaire.

Embuscade à la prestation de serment devant le congrès
Pour sa part, Me Willy Wenga, avocat de son état, estime que les juges Kilomba et Ubulu se trouvent dans leur droit de faire les observations qu’ils ont faites. Il craint, cependant, qu’au moment de la présentation à la Nation des deux nouveaux juges nommés pour leur prestation de serment comme le prévoit la Constitution, les deux chambres du Parlement réunis en congrès se retiennent de s’y prêter jusqu’à ce que cette situation soit tirée au clair et que les ordonnances litigieuses soient régularisées par le chef de l’Etat.
Déjà on peut noter que les Présidents de ces deux chambres ont brillé par leur absence (Thambwe Mwamba n’est pas au pays) à la cérémonie qui s’est tenue hier au Palais de la nation devant le chef de l’Etat seul, en l’absence également du Premier ministre. Sylvestre Ilunga venait pourtant d’assister, quelques minutes plus tôt aux côtés de Félix Tshisekedi, à la première réunion du comité de pilotage du Conseil présidentiel de veille stratégique…
JEK

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